samedi 30 janvier 2016

Mieux comprendre la crise agricole

En tant que futurs agriculteurs bretons il nous semblait indispensable d'évoquer les actuels conflits sociaux qui se déroulent en ce moment, en particulier dans notre région. Ainsi, nous vous proposons des extraits d'un article du blog "les décodeurs" sur lemonde.fr

"Après avoir bloqué de nombreuses routes cet été, puis manifesté à Paris et à Bruxelles en septembre, les éleveurs laitiers et porcins relancent depuis le 20 janvier des actions pour alerter sur leurs difficultés financières. Ils demandent aux pouvoirs publics d'agir contre les cours très bas auxquels sont achetées leurs productions , et les marges des intermédiaires, qu'ils jugent abusives.

La colère des agriculteur, qui avait enflé en juillet, avait abouti en septembre à l'annonce d'un plan d'urgence de 700 millions d'euros pour l'élevage, qui n'a pas résolu les problèmes de fonds. Les producteurs de ports s'étaient ainsi mobilisés tout l'été pour demander un prix plancher de 1.40 euro de kilo au marché de Plérin - or il ne négociait jeudi à 1.09 euros.


Que dénoncent les agriculteurs?
Si la colère a éclaté en juillet chez les éleveurs de porcs et de bovins (lait et viande), c'est parce qu'ils estiment que l'accord trouvé en juin avec les autres acteurs de la filière n'a pas été respecté. Cet accord devait permettre de faire face à des prix du porc ou du boeuf jugés trop bas : grande distribution et industrie de transformation s'étaient alors engagées à une hausse du prix d'achat de la viande de 5 centimes par kilo et par semaine, renouvelée chaque semaine jusqu'à couvrir les coûts de production.

Comment est fixé le prix de la viande et du lait ?
- porc une bourse en Bretagne
Le prix du porc est fixé en Bretagne, au marché au cadran de Plérin - la Bretagne représente 60% de la production de porc en France. Là, les éleveurs proposent leurs marchandises aux abattoirs, selon un principe d'enchères dégressives. L'acheteur propose un prix, c'est aux éleveurs de l'accepter ou non.

Le marché de Plérin établit ensuite la tendance nationale des prix. Puis las abattoirs revendent la viande achetée à la grande distribution, en fixant les prix de gré à gré. Enfin, la viande est vendue dans les super et hypermarchés, à un prix que fixe l'enseigne.

Deux importants transformateurs de viande, la coopérative Cooperl et la société Bigard-Socopa, ont boycotté plusieurs ventes en août car ils ont estimé que les hausses successives du prix du porc, convenues lors de l'accord avec les éleveurs, étaient en "total décalage avec les prix du marché européen".

- le bœuf: un prix moyen et libre
Pour le bœuf, le prix d'achat est négocié entre éleveurs et négociants ou abatteurs. C'est ensuite un organisme public. France AgriMer, qui calcule une tendance moyenne à partir des prix d'achat déclarés par les abattoirs. Mais la grande distribution peut aussi proposer des achats en grande quantité à un prix fixe, ce qui fait pression sur l'abatteur, qu'il répercute sur le livreur.


- lait : un double système
Le lait, lui, obéit à des règles plus complexes encore : près de la moitié des éleveurs travaille avec des entreprises sous la forme de contrats quinquennaux, quand l'autre vend à des coopératives. Depuis 2010 et 2012, une loi et une directive européenne renforcent le recours à des négociations entre acteurs de la filière pour, notamment, dédier du prix d'achat au producteur. Une structure, le CNIEL (centre interprofessionnel de l'économie laitière) aide à la fixation de ces prix grâce à des grilles de référence et des indicateurs.

Parmi ceux-ci le prix de produits issus du lait (beurre, poudre de lait, fourrages), qui est lui, fixé au niveau mondial, mais aussi le prix de vente dans d'autres pays, en premier lieu l'Allemagne. Le prix fixé dans le cadre des accords peut également fluctuer régulièrement, notamment en fonction de la qualité du lait.

Evidemment, rien n'interdit à une enseigne de grande distribution de se fournir en viande ou en lait à l'étranger si elle le souhaite, même si des actions ont été mises en place pour favoriser l'achat de viande française, notamment un label qualité.

Qui touche quoi?
Ce principe de prix crée des tensions récurrentes au sein de la filière : de l'éleveur au consommateur, en passant par l'équarrisseur ou la grande distribution, chacun essaye de tirer son épingle du jeu. Et en cas de crise, chacun se renvoie la balle.



En juin l'ensemble de la filière s'était mis d'accord sur le fait d'augmenter progressivement les prix, de manière à ce que les éleveurs puissent couvrir leurs coûts de production. Ceux-ci estiment aujourd’hui que le reste des acteurs n'a pas joué le jeu, ce que constate également le médiateur désigné par le gouvernement.

Mais les enseignes de grande distribution assurent qu'elles ont appliqué la hausse de prix sur leurs achats auprès des abattoirs, renvoyant à ces derniers la responsabilité de ne pas l'avoir répercutée à leur tous sur les prix d'achat aux éleveurs.
Difficile, donc, de savoir précisément qui ne respecte pas les accords fixés. Car, comme l'expliquent agriculteurs ou abatteurs, chaque entreprise va à son rythme, certaines jouant le jeu, d'autres se faisant tirer l'oreille.

Le rapport du médiateur nommé par le gouvernement, Francis Armand, n'est pas encore public. Mais il semble pointer plusieurs points : d'une part, si la filière porcine a respecté l'accord et augmenté les prix, e n'est pas le cas pour le bœuf, ou seulement "la moitié du chemin a été fait", selon le président de la FNSEA, Xavier Beulin. Autre point : toujours selon le rapport, le secteur de la distribution aurait "joué le jeu" plus que celui de l'abattage, qui aurait quelque peu traîné à appliquer l'accord.

A ces critiques, les représentants des abattoirs opposent divers arguments, notamment le coût de la main-d'oeuvre en France, qu'ils estiment lus élevé que chez nos voisins. 

A cela s'ajoute la question des subventions européennes et françaises. En moyenne, selon un rapport des services de statistiques du ministère de l'agriculture (Agreste), elles représentent 11% du chiffre d'affaires de l'agriculture en 2012, mais peuvent aller jusqu'à 15% (dans 30 départements), voire 20% (13 départements).

Selon l'Insee, en 2006 les aides atteignaient 40 800 euros par an en moyenne pour les exploitations spécialisées en bovins à viande, et 26 300 euros pour les exploitations spécialisées en bovins laitiers. L'institut montre la progression inexorable du poids des subventions dans le résultat des exploitations. Depuis 2000, plusieurs secteurs affichent une part supérieure à 100%, du fait du déficit chronique des exploitations.



Si les aides sont importantes, voire maintiennent en vie des filières agricoles qui ne s'en sortiraient pas sans, elles ne sont pas corrélées avec le revenu généré par les agriculteurs selon les filières, qui peut être très disparate. Comme on le voit dans le graphique ci dessous, tiré d'une étude de l'Agreste en 2013, les céréaliers génèrent en moyenne un résultat largement supérieur à celui des éleveurs, particulièrement de vaches à viande. Les éleveurs de porc, eux, sont mieux lotis, sans atteindre les niveaux de résultat des céréaliers.



Une crise ancienne et complexe
L'agriculture française est en crise depuis des décennies, mais son état semble s'aggraver. Pourtant, il n'est pas évident de pointer une cause unique.

La taille des exploitations françaises, notamment face aux allemandes, mais aussi la multiplications des normes, des labels et des contraintes, qui obligent les agriculteurs à des investissements de plus en plus conséquents pour les mises aux normes, ou encore la variabilité des prix des matières premières (le soja ou le maïs qui servent à l'alimentation des bêtes, par exemple). Des critiques font également jour au sein de la filière agricole contre certaines situations jugées privilégiées par rapport à d'autres (les grands céréaliers, notamment).

Mais les choses sont loin d'être si simples : certaines exploitations plus petites, qui n'ont pas au besoin de grands investissements structurels, s'en sortent parfois aussi bien en termes de revenu que de gros agriculteurs ayant acheté beaucoup de matériel et ayant amassé des terres dont ils ont du mal à s'occuper seuls. De même, la production bio peut s'avérer plus rentable qu'une production plus classique.



Les éleveurs, eux, citent la chute des cours des produits et la hausse de leurs coûts (alimentation des animaux, cotisations sociales, engrais, etc.). Autre élément de difficulté, la météo, et la sécheresse, qui rend difficile de nourrir les animaux sans recourir au foin prévu pour l''hiver, et qu'il faudra donc racheter...

Une chose est certaine : on constate une double diminution sur long terme, à la fois du nombre d'exploitations pratiquant l’élevage bovin et sur le nombre de têtes de bétail.

Selon les chiffres du ministère, on comptait un peu moins de 515 000 exploitations agricoles en 2010, contre presque 700 000 en 2000, soit un quart de moins en dix ans.

La situation des filières d'élevage est pire : on compte 34% d'exploitations laitières et 27% des exploitations de vaches à viande de moins en 2010 qu'en 2000. Au total, ce sont environ 85 000 élevages bovins qui ont disparu en dix ans, dans des exploitations dont la taille a plutôt tendance à augmenter.

Le cheptel bovin a également diminué en France : il était de 20.3 millions de têtes de bétail en 2000, il n'est plus que de 19.5 millions aujourd'hui, soit presque 800 000 bêtes en moins.

Dernier problème connu, le vieillissement des agriculteurs. Selon la mutuelle sociale agricole (MSA), en 2011, les chefs d'exploitations avaient un âge moyen de 47.8 ans. Les 50-54 ans représentent à eux seuls près de 20% des chefs d'exploitations."

Source : http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2015/09/03/comprendre-la-crise-des-eleveurs_4744611_4355770.html

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